Quelle complexité pour décrire la physique ! (20/12/23)

Introduction

On ne peut être que frappé par la complexité mathématique qu’il faut mettre en œuvre pour établir des théories qui tentent de rendre compte des phénomènes tels qu’on les observe.

Les théories comme celles des cordes, des twisteurs, de la gravitation à boucles et dans une moindre mesure de la relativité, de la mécanique quantique et de la théorie des champs quantiques demandent des connaissances très approfondies en mathématiques pour y comprendre quelque chose, ce qui n’est pas à la portée de ” l’homme de rue”. Pourtant l’homme de la rue, comme tous les autres, subit ces lois de manière naturelle.

Quelle disproportion flagrante ! On se demande pourquoi les lois de la nature que nous subissons nous paraissent aussi compliquées ! Y-a-t-il une raison à cela ? Ne seraient-elles pas aussi efficaces si elles étaient bien plus simples ?

Doit-on attribuer cela à la complexité intrinsèque de la nature elle -même, du moins telle qu’elle nous apparaît (les phénomènes), ou à l’indigence relative de notre esprit et de nos sens, puisque cette complexité est appréciée par eux. Ce serait comme regarder un objet avec un très mauvais instrument qui en donnerait des images éclatées, déformées et floues.

Faisant partie de l’univers, nous sommes soumis à ces lois, y compris notre esprit et nos sens, ce sont elles qui sont à l’œuvre dans notre raisonnement et les validations “physiques” qu’on peut en faire. On conçoit que cela impose des limites structurelles à la connaissance : les lois cherchent à se comprendre elles -mêmes au moyen de ces mêmes lois !

On peut s’étonner qu’on puisse faire des constructions mathématiques aussi élaborées qui semblent nous révéler au moins une partie du mystère. C’est possiblement lié au phénomène de la conscience qui est une réflexion du sujet sur lui-même, pris alors comme objet. Mais on conçoit que ce procédé ne peut procurer qu’une information dégradée.

De ces considérations, il paraît raisonnable se demander, à l’instar de Platon, si les phénomènes, ombres d’une réalité “parfaite”, ne sont pas la source de cette complexité. Ils seraient des fragments probablement incomplets et distordus et, à ce titre, paraissant bien mystérieux, du puzzle représentant une supposée “réalité physique”.

Les constructions mathématiques complexes de nos théories, ne seraient donc pas forcément liées à la complexité de la nature elle-même mais au fait qu’on en dispose que de fragments épars et distordus. Elles visent alors à essayer de reconstituer (apparemment avec un certain succès tout de même) une meilleure image de la nature à partir de ces bribes disparates et dégradées en fonction de cohérences ou de lois supposées.

Il faut tout de même garder à l’esprit que ce qu’on appelle la validation (en fait le non-rejet) d’une théorie ne peut s’appuyer que sur ces fragments (phénomènes) qui sont les seuls objets qui nous sont accessibles : la théorie doit prédire ces fragments. Le scientifique va rechercher des lois qui pourraient donner une signification cohérente à la production de ces fragments, sans forcément être capable de découvrir l’image du puzzle complet qui peut être simple (mais on ne la connaît pas)!

Une autre question surgit alors : de quelles types de lois, a priori, pour tenter de donner un sens aux fragments qu’il observe, le scientifique dispose et quelle est leur source? Par exemple, on invoque de plus en plus les symétries qui peuvent se manifester par des aspects géométriques ou de façon plus formelle par des invariants par des transformations (groupes de symétries) dans la physique (théorie des champs quantiques par exemple).

Il est vrai que quand on sonde la nature dans ses retranchements ultimes il ne reste guère que des relations dont on ne peut extraire que des symétries ! H. Weyl qui s’était intéressé au sujet suggère que nous puisons cet intérêt pour les symétries dans l’observation de la nature (monde minéral, cristaux, végétaux, animaux, ..) : elles sont omniprésentes.

De ceci on déduit que la nature aime la symétrie…

A défaut de décrire la nature dans sa plénitude, le scientifique peut, malgré tout, espérer améliorer sa connaissance de la nature par la diversification et l’acquisition de nouveaux moyens expérimentaux qui vont lui permettre de disposer d’autres fragments voire de toutes les pièces du puzzle, ce qui ne veut pas dire qu’on saura les assembler pour découvrir l’image qu’ils représentent !

Le formalisme mathématique

Ceci induit que la structure du formalisme des moyens mathématiques mis en œuvre qui ont été couronnés de succès, nous informent sur les lois de la nature car on est fondé de supposer que ce succès résulte d’un morphisme entre la structure des lois de la nature et la structure du formalisme qui prédit correctement les phénomènes que ces lois de la nature nous proposent.

Cela montre l’intérêt que représentent ces formalismes qu’il faut interpréter dans le contexte de ce qu’ils produisent : une clé pour donner un sens à des fragments !

Même à supposer qu’on puisse obtenir tous les fragments, d’une part cela n’impliquera pour autant qu’on saura les assembler correctement pour former une image et d’autre part, même si c’était le cas, qu’on saura bien interpréter cette image, sans doute brouillée, de la nature.

Quelques exemples illustrant ces propos

Relativité restreinte

On connaît la querelle en paternité de la relativité restreinte, Einstein ayant été qualifié par certains de vil copieur !

Il est vrai que Lorentz par les transformations empiriques qu’il a établies, Poincaré par le groupe des transformations de l’espace de la relativité restreinte qu’il a identifié, ont contribué à la genèse de cette théorie, qui “était dans l’air” à l’époque, suite au problème posé par l’électromagnétisme et l’expérience de Morley-Michelson.

Mais il faut reconnaître que c’est Einstein, en 1905, qui lui a donné son fondement en lui donnant un sens physique par le principe de “relativité”. Tous les phénomènes physiques (hormis la gravitation) obéissent aux mêmes lois dans tous les référentiels inertiels qui ne se différencient que par une vitesse (constante) relative. Ceci suffit, avec le paramètre de la vitesse de la lumière qui est une constante dans tous les référentiels [4] , à contraindre et dériver les équations de la relativité restreinte. En effet ces référentiels se caractérisent par le fait qu’on ne ressent aucune contrainte (les objets “flottent et nous flottons). Dans ces référentiels présentant la même phénoménologie, la physique doit être la même. Aucun n’est privilégié.

Cette situation a fait dire à certains qu’en 1905 on avait toutes les pièces du puzzle, mais que c’est Einstein qui a montré ce qu’elles devaient représenter et donc comment assembler ces pièces.

Relativité générale

Il y a eu une petite querelle en paternité entre Einstein et Hilbert qui s’est réglé à l’amiable, Hilbert reconnaissant que l’essentiel de l’analyse du problème était dû à Einstein, sa contribution sur l’équation était simplement la résolution d’un problème mathématique (avec brio, car il a proposé une méthode bien plus générale que celle d’Einstein en définissant une action, l’action d’Hilbert, pour la relativité générale).

Einstein qui s’était de son côté attaché à transposer la gravitation sous une forme relativiste avait bien établi son équation avant Hilbert, mais de manière moins élégante.

La géométrie de l’univers ne se réduit pas à la description de ses points

Ces points, définis par une valeur de leurs 4 coordonnées, par exemple t, x, y, z, sont définis sur une « variété » objet mathématique qui modélise l’univers (espace-temps). Mais la connaissance de ces points ne suffit pas à caractériser la solution de l’équation d’Einstein, puisque celle-ci définit les géodésiques (qui sont des courbes), solutions de la dynamique du système relativiste.

Si on peut engendrer tous les points, d’une manière infinie, avec des géodésiques nulles qui définissent la structure conforme de la solution (régit la causalité), ceci dans le cadre d’un formalisme à 3 degrés de liberté au lieu de 4, ce qui devrait simplifier le problème, il faut aussi définir tous les autres types de géodésiques, passant aussi par tous les points (temporelles, spatiales) qui ne sont pas des combinaisons linéaires de géodésiques nulles.

Cette approche montre, qu’au de tout faire simultanément qu’on peut le faire séquentiellement et commencer par les géodésiques nulles qui définissent une structure à 3 degrés de libertés cohérente qu’on va habiller d’une structure à 4 degrés de liberté (géodésiques de type temps et espace).

Analyser comment ces 2 structures de nature différentes se raccordent dans un même ensemble, (la solution relativiste) peut nous ouvrir un champ de recherche.

A ce titre l’étude des congruences de géodésiques apporte une solution plus structurée au problème.

La formulation géométrique

La forme géométrique de la théorie de la relativité générale qui est une théorie de la gravitation montre qu’on peut décrire, par exemple l’univers, par sa géométrie qui dépend de ce qui constitue l’univers.

Le grand intérêt de cette formulation est qu’elle permet de prendre en compte une “non- linéarité” qui semble nécessaire : tous les objets contribuent à définir la géométrie de l’univers auquel, en retour, tous ces mêmes objets vont se coupler (ils vont suivre des géodésiques de la géométrie de cet univers). La boucle est bouclée.

Magnifique solution mettant en œuvre cette récursivité où l’objet (celui qui fait subir) est aussi le sujet (celui qui subit). Un modèle qui pourrait servir de paradigme pour des phénomènes comme celui la conscience ?

Autre beauté de la solution, l’univers ainsi défini est “auto-suffisant”, (l’espace-temps est défini par ce qu’on appelle une variété en mathématiques) autrement-dit, il n’a besoin de rien d’autre que lui-même pour exister et être totalement défini. Cela élude le problème d’une création et le “réduit” à celui d’une existence.

Mécanique quantique

De nombreux scientifiques ont contribué à cette théorie, tellement étrange que son interprétation physique est toujours sujette à débat, même si l’interprétation de l’école de Copenhague fait référence.

Face à la nature étrange, très différente de ce que nous présentait le monde de la physique et mécanique classique, que les scientifiques découvraient il est intéressant de noter l’approche de W. Heisenberg qui proposait d’abandonner tous les concepts de la mécanique classique et de ne considérer que les “observables” (les phénomènes) comme éléments de la théorie.

Elles étaient présentées dans des matrices, associées à un formalisme qui permettait de faire des calculs. D’un autre côté Schrödinger développait une solution avec une équation d’une fonction d’onde, permettant de définir l’état d’un système. On connaît la suite, le formalisme définit aussi des opérateurs associés aux grandeurs physiques (observables), qui appliqués à la fonction d’onde permettait de prédire des probabilités de résultats des mesures des observables.

Le formalisme de Heisenberg et celui de Schrödinger se sont révélés équivalents, ce qui est intéressant, car cela atteste que deux approches fondamentalement différentes pouvaient aussi bien décrire ce qu’on pouvait connaître de la nature.

[1] La lumière, plus généralement les ondes électromagnétiques, n’est qu’un « marqueur » de l’existence d’une vitesse limite qui est la vraie contrainte. Attention à ce qu’on appelle vitesse en relativité, car la vitesse définie en relativité est covariante. Elle se réfère au temps propre et non pas à la coordonnée temps.

[2]Rappelons le remarquable article de E. Cartan (C.R.A.S) T 174 (1922) p. 857-860, qui préfigure cette classification

[3]Voir Petrov A.Z (1954), Pirani F.A.E (1957)

[4] Ce point structurellement très important, cette limite étant impliquée dans la causalité, résultant du principe de relativité qui révèle un invariant de vitesse mais n’en spécifie pas la valeur. La valeur de de cette constante est une donnée expérimentale. voir: https://astromontgeron.fr/SR-Penrose.pdf