Paradoxe EPR (12/03/23)

Introduisons ce paradoxe par un exemple général soulignant l’étrangeté de la mécanique quantique.

Une des caractéristiques de la mécanique quantique est que la possibilité d’une mesure modifie la phénoménologie. Ainsi dans le cas de fentes de Young, un dispositif émet des photons, un par un, vers un écran détecteur. Si on intercale, entre l’émetteur de photons et l’écran détecteur, un écran opaque percé de 2 fentes A et B très minces, on va observer, bien que les photons soient émis un par un, des franges d’interférence.

Mais si à la sortie d’une des fentes, la fente A, par exemple, on insère un détecteur, alors les franges disparaissent sur l’écran et on observe des impacts de photons. On pourrait penser que le détecteur absorbe ou modifie l’état du photon, mais ceci se produit même si le détecteur ne détecte rien (cas ou le photon serait passé par l’autre fente).

Ce qui est clair, c’est avec ce dispositif on acquiert une information, on sait par quel fente le photon est passé, soit parce que le détecteur A à été activé et il est passé par la fente A soit parce qu’il n’a pas été activé et il est passé par la fente B et dans ce cas il n’a pas interagi avec le détecteur placé en A, mais la présence du détecteur a modifié la phénoménologie. Sans détecteur, nous n’aurions eu aucune information à ce sujet.

La possibilité d’acquérir une information sur un système en modifie la phénoménologie!

Contrafactualité

Le fait qu’un événement qui ne s’est pas produit, mais qui aurait pu se produire modifie le résultat d’une expérience, s’appelle la contrafactualité. Penrose en donne un exemple dans un de ses livres.

Le paradoxe EPR (un exemple)

Deux photons intriqués A et B résultant d’une interaction spécifique vont avoir des polarisations opposées appelées en général gauche et droite (G et D en abrégé).

Ces photons se séparent et si on mesure la polarisation de A, qui peut être gauche ou droite, à égalité de chance, on sait que si on mesure, ultérieurement et donc à plus grande distance du lieu d’intrication, la polarisation de B, nécessairement, elle sera opposée.

B étant distant de A, c’est comme si l’information de la mesure de A avait été transmise instantanément à B, ce qui est bien étrange. Si on répète l’opération, statistiquement on va avoir les 2 configurations possibles [A gauche – B droit] et l’inverse, chacune à 50 % de chance.

En fait, si on analyse le processus en terme de transmission d’information, compte tenu de la limite de vitesse (celle de la lumière) imposée par la relativité, et le caractère non prédictible de la première mesure, la causalité n’est pas violée donc, sur ce point essentiel, il n’y a pas de paradoxe, même si cela ne lève pas le caractère mystérieux de l’expérience.

Soulignons toutefois que lorsqu’on parle de propagation instantanée, cela pose le problème de la simultanéité qui, critère non universel en relativité, suppose une synchronisation d’un référentiel galiléen (celui du laboratoire), ce qui présente un caractère conventionnel. Il faut examiner le même phénomène (propagation instantanée) dans d’autres référentiels galiléens pour attester ou non de son caractère physique. Autrement ce serait un artefact de description.

Bien entendu il est impossible de savoir si c’est le même système de deux photons « intriqués »qu’on mesure à deux endroits différents éloignés. En fait les expériences s’appuient sur une statistique de mesures associé à un protocole expérimental.

Ceci précisé, ce qui suit est une réflexion sur le sujet.

Un peu de phénoménologie

On sait que quand on mesure une polarisation d’un photon libre, a priori on ne sait pas quelle polarisation on va trouver (une chance sur deux) . D’un point de vue phénoménologique, on peut considérer cette indétermination de 2 manières.

1-Soit la polarisation est indéterminée et c’est la mesure qui va la déterminer, sans qu’il y ait moyen de prédire le résultat de façon certaine (la prédiction est statistique, une chance sur deux d’être dans un état de polarisation donné, dans ce cas). C’est le point de vue de Bohr et de l’école de Copenhague en mécanique quantique.

2- Soit la polarisation est déterminée mais elle nous est inconnue et imprédictible de façon certaine, comme précédemment, et c’est la mesure qui la fait connaître.C’est le point de vue des réalistes en particulier Einstein.

Si la première hypothèse est celle qui est retenue dans l’interprétation de la mécanique quantique, comment éliminer la deuxième hypothèse?

Phénoménologie : Le cas de l’intrication de 2 photons

Ici, ce n’est plus le cas de photons libres puisque ils ont été générés par un procédé qui fait qu’on ne peut plus les considérer individuellement, car ils forment un système . Autrement dit l’état n’est par équivalent à celui de deux particules libres indépendantes: Il n’est pas factorisable.

L’idée est que la statistique des deux possibilités est différente et qu’une expérience pourrait discriminer laquelle est acceptable.

Quelques rappels du formalisme

Rappelons que dans le formalisme, quand nous parlons de photons, il faut entendre fonction d’onde associé au photon, dont les paramètres physiques qui en résultent, ne se manifesteront que lors d’une mesure ou d’une interaction (effondrement de la fonction d’onde). Raisonner sur des particules, ce que nous sommes naturellement amener à faire est trompeur et est peut-être à l’origine du caractère mystérieux du phénomène.

Rappelons aussi que la fonction d’onde qui fait partie du formalisme quantique n’a pas de réalité physique (ce n’est pas une onde au sens physique ).

De nature complexe, la fonction d’onde intervient dans le calcul du spectre des valeurs réelles possibles et les probabilités associées (par sa norme réelle) d’une observable lorsqu’on applique l’opérateur hermitien associé à cette observable sur cette fonction d’onde.

Ce formalisme qu’on pourrait qualifier de « ad hoc » a été sélectionné parce qu’il semble permettre de décrire et donc de prédire « correctement » (dans la limite de la précision accessible) le phénomène observé. A ce titre, il nous « renseigne » sur le phénomène, par le morphisme supposé entre le phénomène et le formalisme qui le décrit. Mais pour autant ne nous en révèle pas forcément tout à son sujet. C’est pour cela qu’il faut garder l’esprit « ouvert » vis à vis de phénomènes dont la compréhension nous échappe.

Formellement, une mesure de polarisation correspond à l’application de l’opérateur hermitien associé à la polarisation sur la fonction d’onde du système. Elle va sélectionner un de ces 2 états, chacun avec la probabilité de 1/2, dans notre cas.

La fonction d’onde associée à 2 photons intriqués n’est pas factorisable.

Soulignons que l’état concerne la fonction d’onde associée à 2 photons intriqués qui ne se réduit pas au produit des fonctions d’onde de chacun des 2 photons.

Le fait que la mesure sur la fonction d’onde commune ne concerne que l’état d’un photon mériterait d’être explicitée, mais cette mesure provoque l’effondrement de la fonction d’onde ce qui, détermine l’état de l’autre « photon » putatif, compte tenu que la fonction d’onde est commune et contient toute l’information du système.

Dans l’interprétation classique, certains se posent tout de même le problème de l’évolution de cette fonction d’onde lorsque les particules s’éloignent. Malgré tout, peut-on écarter la possibilité que, lorsqu’on réalise l’intrication, qui est procédé très contraint, on fixe l’état du système (état 1 ou état 2, chacun avec une probabilité de 1/2 ), sans qu’on puisse le prédire. C’est ce qu’on appelle les « variables cachées ».(Einstein)

Les inégalités de Bell, généralement admises, excluent cette hypothèse.

Il est possible de discriminer les 2 hypothèses par des expériences en s’appuyant sur les inégalités de Bell. La figure ci-dessous montre que la corrélation, en fonction de l’angle entre les polariseurs, dépend de l’hypothèse faite.

La différence semble maximum pour un angle de 22° environ, c’est donc pour ces valeurs que les expériences sont les plus intéressantes. Cela a été fait, entre autres par A. Aspect et lui a valu le prix Nobel (2022)

Pas de viol de causalité

Cependant, comme on sait qu’aucune information ne peut être transmise (instantanément) par ce procédé, il n’y a pas de violation de la causalité en relativité.

Ceci est rassurant pour la théorie et incite à considérer cette hypothèse comme crédible dans le contexte très particulier de l’interprétation de la mécanique quantique qui est assez déroutant pour l’esprit.

Manifestement une représentation autre que la description usuelle suggérant une « transmission » instantanée de l’état mesuré ou plus généralement un phénomène qui s’étend dans l’espace, nonobstant la distance, ce qui défie l’entendement, est encore à imaginer. C’est sans doute en examinant les limites d’investigation de notre esprit qu’il faudra chercher la solution.

Voir le post à ce sujet sur le site: Conscience et existence : quelques considérations sur le sujet (7/2/22)